Toute guerre est abjecte. Les terribles expériences des deux guerres mondiales ont changé la manière de penser au sein de la communauté internationale et ont conduit à la ratification de la Charte des Nations Unies le 26 juin 1945. Elle interdit aux États membres de recourir à la force et garantit leur intégrité territoriale. Les fondateurs de la Charte des Nations Unies savaient qu’elle ne suffirait pas à abolir les guerres. C’est pourquoi la Charte des Nations Unies accorde à chaque État le droit de se défendre.
En Europe, la Seconde Guerre mondiale a été suivie d’une période de paix sans précédent. Mieux encore : après l’effondrement du Pacte de Varsovie, on a cru que les guerres en Europe appartenaient définitivement au passé. Cela a conduit à un redimensionnement massif des armées en Europe et en Suisse.
Pour l’industrie d’armement suisse, cela a eu des conséquences à large échelle. Le nombre des commandes de l’armée suisse et des armées étrangères a diminué. Quant à la qualité, plus la période sans conflit durait, plus les entreprises d’armement étaient reléguées au rang de l’indécent par les partis de gauche et les médias. Certaines banques les avaient mises sur des listes noires pour leurs fonds et placées au même niveau que l’industrie pornographique. Les politiciens, y compris une partie des milieux bourgeois, voulaient profiter de la situation pour se profiler et ont soutenu les mesures limitant les possibilités d’exportation de l’industrie d’armement.
Le 24 février 2022 a marqué un tournant. L’attaque de la Russie contre l’Ukraine a fait éclater le rêve d’une paix éternelle en Europe. Cette guerre montre de manière exemplaire l’importance d’avoir sa propre armée. Elle montre aussi à quel point la coopération internationale des États démocratiques est cruciale. La Suisse ne peut pas se permettre d’ignorer ces conclusions.
Pour que la Suisse puisse exercer son droit d’autodéfense garanti par la Charte des Nations Unies, elle a besoin d’un armement moderne de son armée. L’industrie d’armement nationale en est la base. Cependant, les dispositions concernant l’exportation de matériel de guerre en vigueur risquent de priver les entreprises d’armement suisses de leur base existentielle. Sans exportations, les entreprises d’armement nationales ne survivront pas économiquement. Sans sa propre industrie d’armement, la Suisse n’est pas en mesure de maintenir les systèmes d’armes de son armée en état de fonctionnement, ce qui met en péril la sécurité de la Suisse.
Des adaptations des règles d’exportation sont indispensables
Dans le débat actuel sur les exportations de matériel de guerre, il est souvent question de neutralité. Il ne fait aucun doute que la neutralité armée perpétuelle est importante pour l’identité de la Suisse. Cependant, dans les discussions actuelles, elle est souvent mal interprétée. Nos dispositions en matière d’exportation d’armes, notamment l’autorisation de réexportation, dépassent nettement le droit de la neutralité. Ce dernier n’exige pas d’autorisations pour la réexportation. Nous pouvons y renoncer immédiatement - notamment pour les États mentionnés à l’annexe 2 de l’Ordonnance sur le matériel de guerre (OMG). Ils appliquent les règles identiques ou similaires à celles de la Suisse en matière d’exportation de matériel de guerre.
Il faut assouplir les règles d’exportation pour ces États aussi au cas où ils seraient impliqués dans un conflit armé national ou international. Il est souvent question des États qui soutiennent l’Ukraine dans sa lutte pour la démocratie, l’État de droit et les libertés civiles. Un tel soutien est aussi dans l’intérêt de la Suisse et de notre sécurité. Actuellement, il s’avère que ces pays qui nous sont proches n’envisagent de se tourner vers les entreprises d’armement suisses pour effectuer de nouvelles commandes, que s’ils obtiennent une garantie de livraison. Ils ne veulent pas prendre le risque que la Suisse ne les approvisionne qu’en cas d’urgence. Les entreprises suisses ne peuvent pas offrir cette garantie. Par conséquent, elles sont exclues de facto du marché et leur existence est menacée. Cela nuit directement à la sécurité de la Suisse. À mon avis, il est possible de mettre en œuvre une réglementation conforme à la neutralité - soit sous forme d’exception générale à l’art. 22a, al. 2, let. a, de la loi sur le matériel de guerre pour les États mentionnés à l’annexe 2 de l’OMG, soit alors sous forme d’exception pour le Conseil fédéral en cas d’intérêts relevant de la politique étrangère et de sécurité.
Agir maintenant
Les prochains mois s’annoncent difficiles pour l’Ukraine. La pression sur la Suisse va augmenter. Il faut maintenant que le Conseil fédéral ou le Parlement trouve rapidement une solution. Notre neutralité n’a de valeur que dans la mesure où elle est respectée par l’étranger. La Suisse et son industrie doivent à nouveau être considérées comme des partenaires fiables dans le cadre d’une neutralité qui dans l’histoire a toujours été interprétée de manière pragmatique. En nous isolant toujours plus, nous nous mettons en danger. Si nous ne nous adaptons pas, plus personne ne nous soutiendra en cas de conflit.
Il est tout aussi important que les entreprises et leurs collaborateurs engagés dans le secteur de la sécurité soient enfin à nouveau appréciés à leur juste valeur. Leur discrimination par les banques et les assurances, même pour les affaires privées des collaborateurs des entreprises concernées, doit cesser, tout comme le fait d’être mis à l’écart par les universités et les hautes écoles spécialisées. Non seulement les activités de ces entreprises sont légales, mais elles contribuent aussi de manière importante à la sécurité de nous tous. Un an après le début de la guerre de la Russie contre l’Ukraine, nous devons, nous aussi, faire preuve de plus de réalisme et de reconnaissance !