Parallèlement à la décarbonisation, le besoin en électricité va fortement augmenter. En même temps, il faudra remplacer les capacités nucléaires qui disparaissent. Dans ce contexte, la pression sur le fait de devoir développer rapidement la production d’électricité sans énergies fossiles augmente fortement. Toutefois, dans les domaines où nous enregistrons encore aujourd’hui des surcapacités, une dépendance croissante aux importations se dessine. La cause n’en sera probablement pas une puissance installée insuffisante (p. ex. installations photovoltaïques ou éoliennes), mais le manque de puissance assurée pour surmonter les périodes creuses en hiver. Cela ne concerne pas seulement nous, mais également nos voisins. D’un point de vue technique et économique, il serait donc judicieux de prévoir au moins une coopération internationale intensive. Pour l’instant, c’est le contraire qui est le cas. Le fait que le Conseil fédéral ait décidé d’interrompre les négociations sur un accord-cadre bilatéral repousse très loin la conclusion d’un accord sur l’électricité avec l’UE. Personne ne sait encore s’il sera possible d’entamer comme alternative une « coopération technique » suffisante pour éviter les pires scénarios qui de plus devrait être tolérée par Bruxelles. Juste au moment où les médias faisaient largement état des risques croissants de blackout et de la menace de pénurie d’électricité dans quelques années déjà , une brochure d’information de l’Organisation pour l’approvisionnement en électricité en cas de crise (OSTRAL) est parvenue aux grands consommateurs. Le Conseiller fédéral Guy Parmelin, en tant que chef du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR), s’est également adressé aux grands consommateurs dans un message vidéo. Après avoir tiré les leçons de l’échec lié à la prévention d’une pandémie, cette sensibilisation était justifiée en tant qu’information importante pour mieux préparer une éventuelle crise en cas d’un incident encore plus important, à savoir une situation de pénurie d’électricité. Mais elle a eu lieu au moment où le discours très médiatisé sur la stratégie énergétique 2050, qui risque bien d’échouer après quelques années seulement, battait son plein. Il n’est donc pas étonnant que cela ait fortement déstabilisé l’industrie. Par le biais d’un document « FAQ » Swissmem répond aux questions les plus importantes de ses membres.
Vous trouverez de plus amples informations sur le site d’OSTRAL, l’organisation pour l’approvisionnement en électricité en cas de crise. Vous trouverez également des informations utiles sur le thème de la pénurie d’électricité dans le document FAQ détaillé publié par OSTRAL.
En collaboration avec l’Office fédéral pour l’approvisionnement économique du pays (OFAE) et OSTRAL, Swissmem proposera au premier trimestre 2022 un webinaire consacré à la pénurie d’électricité. Nous relèverons le sujet dans la Swissmem-Newsletter et dans le calendrier des manifestations. Voici quelques questions posées par des membres de Swissmem :
Qui est responsable de la sécurité d’approvisionnement ?
Dans le contexte actuel, il est difficile de donner une réponse claire. Autrefois, cela était plus simple. Avant même la première vague de libéralisation du marché de l’électricité, un petit nombre de monopoles se disputaient le secteur énergétique suisse. Les fournisseurs d’énergie (EAE) étaient responsables de l’approvisionnement d’énergie et de l’exploitation fiable du réseau. L’ouverture du marché a toutefois imposé une division de ces entreprises à forte intégration verticale. Il a fallu séparer la distribution d’énergie de l’exploitation du réseau liée à l’infrastructure. Seule cette mesure permettra de la transparence et une situation de concurrence équitable au niveau de la production et de la distribution d’énergie. En même temps, les zones d’approvisionnement des fournisseurs d’énergie, jusqu’alors définies sur le plan géographique, ont disparu. Selon la loi sur l’énergie (art. 6, al. 2), en Suisse, l’approvisionnement en énergie relève en premier lieu de l’économie énergétique. Cependant, cette dernière est occupée aujourd’hui par de nombreux acteurs. La responsabilité n’est donc pas claire et offre un terrain fertile qui ressemble au jeu du « Pierre noir ». La Confédération et les cantons fixent les conditions-cadres pour que la branche puisse remplir sa mission de manière optimale. Si la sécurité d’approvisionnement en électricité à un prix abordable est fortement menacée, le Conseil fédéral peut intervenir et ordonner des mesures, p.ex. augmenter l’efficience au niveau de la consommation d’électricité. La Commission fédérale de l’électricité (ElCom) est chargée de l’application des réglementations liées à la législation sur l’approvisionnement en électricité. Elle observe et surveille l’évolution du marché et, au besoin, soumet des propositions de mesures au Conseil fédéral. Il convient de mentionner ici que ce sont les cantons et les communes qui gèrent la branche de l’électricité suisse. Ils détiennent près de 90% du capital social total de la branche de l’électricité et l’économie privée un peu plus de 10%.
Vous trouverez de plus amples informations sur la brochure d’information de l’OFEN « Sécurité de l’approvisionnement en électricité : rôles et responsabilités en Suisse » du 13 octobre 2021.
Stratégie énergétique 2050 : à peine acceptée, déjà un échec ?
La Stratégie énergétique 2050 (SE 2050) a nettement sous-estimé le fait que la consommation d’électricité augmentera à l’avenir et surestimé la capacité d’exportation de nos pays voisins. Il faut dire aussi qu’à l’époque, personne ne parlait encore de l’objectif zéro net. En outre, la deuxième étape de la stratégie énergétique présentée par le Conseil fédéral, le paquet de mesures SICE (système incitatif en matière climatique et énergétique) sur le financement durable de la transformation, a été rejeté sans avoir été débattu comme il se doit. Ainsi, à partir de 2021, le système actuel comprenant des taxes d’incitation pour les énergies renouvelables aurait été remplacé par des taxes supplémentaires sur l’électricité et les combustibles. De plus, la stratégie énergétique a été fondée sur des hypothèses qui n’étaient pas réalistes : la conclusion d’un accord sur l’électricité avec l’UE, l’ouverture complète du marché de l’électricité (mise en œuvre toujours en suspens), une durée d’exploitation prévue des centrales nucléaires existantes de 50 ans (durée qu’il faudrait prolonger pour ne pas compromettre la sécurité d’approvisionnement). Pour résumer, nous devons constater que les défis liés à la mise en œuvre de l’ES2050 ont fortement augmenté ces dernières années. Il convient de souligner que jusqu’à présent, la politique a omis d’adapter la stratégie à l’évolution des conditions-cadres et de proposer des solutions concrètes aux nouvelles questions, solutions qui peuvent être financées et qui sont acceptées par tous. Vous trouverez plus bas les exigences de Swissmem à l’égard de la politique.
Risquons-nous effectivement de rencontrer une situation de pénurie d’électricité d’ici quelques années ?
La sécurité d’approvisionnement en électricité est assurée lorsque la quantité d’électricité souhaitée est disponible sans interruption sur l’ensemble du réseau électrique, avec la qualité requise et à des prix raisonnables. Pour cela, il faut que tous les éléments du système d’approvisionnement interagissent de manière optimale : la production d’électricité dans les centrales nationales et étrangères, une consommation d’électricité efficace et en quelque sorte flexible, des réseaux électriques suffisamment développés et sûrs ainsi que des capacités de transport sur les réseaux qui permettent un échange international (exportations et importations). Étant donné que l’électricité circule indépendamment de la comptabilité liée aux contrats de livraison et qu’elle suit la voie de la résistance la plus faible, une coopération internationale entre les bourses d’électricité et les gestionnaires de réseaux est la condition sine qua non pour trouver des solutions efficaces et rentables. Comme il n’existe pour l’électricité pas non plus de frontières, une étroite collaboration stratégique et opérationnelle avec nos pays voisins permet de profiter d’importantes synergies techniques et donc des avantages économiques. Or, l’interruption des négociations sur un accord-cadre avec l’UE supprime maintenant la base de cette coopération. Et pourtant, ceci serait maintenant plus que jamais nécessaire. Une étude réalisée par l’OFEN avant ces développements défavorables pour la Suisse confirme que les défis pour une exploitation sûre du réseau en Suisse augmentent très rapidement et de manière significative. Par exemple, les directives internes à l’UE sur la gestion des capacités de transport d’électricité à l’échelle internationale, qui doivent être mises en place d’ici 2025, ont un impact négatif aussi bien sur notre capacité d’importation que sur la stabilité de notre réseau. Le pire des scénarios développé dans l’étude se base sur l’hypothèse que, sans aucune coopération technique avec les pays voisins, un tiers des centrales nucléaires françaises et, en même temps, les réacteurs suisses Beznau I et Beznau II tombent en panne. Selon cette étude, il se pourrait alors que les besoins en électricité de la Suisse ne pourront plus être couverts pendant environ 50 heures dès l’hiver 2025. Ce scénario reflète une combinaison possible, bien qu’assez peu probable, d’événements défavorables.
En est-on arrivé au point où l’administration prescrit aux entreprises industrielles des mesures pour économiser de l’électricité dans le but d’éviter une situation de pénurie d’électricité ?
Dans ce contexte, il est important de différencier entre blackout et pénurie d’électricité. Tandis qu’un blackout se traduit par un effondrement soudain et non annoncé du réseau électrique, l’électricité est disponible en quantité réduite lors d’une situation de pénurie. Dans une situation de pénurie d’électricité généralement prévisible à l’avance, la demande en énergie électrique dépasse l’offre disponible pendant plusieurs jours, semaines ou mois en raison de capacités de production et/ou de réseau insuffisantes. En respectant des mesures parfois radicales ordonnées par le Conseil fédéral, il devrait être possible d’assurer un approvisionnement limité. Sans mesures supplémentaires, la probabilité d’un blackout augmente fortement. Parmi les mesures de gestion à prendre en cas de pénurie d’électricité, nous distinguons entre les mesures de gestion dans la production d’électricité (canalisation de l’offre) et les mesures de gestion au niveau de la demande d’électricité (canalisation de la consommation). Parmi les mesures de canalisation de la consommation, le contingentement de l’électricité est le deuxième niveau d’escalade le plus élevé. Des coupures de réseau ciblées et annoncées sont possibles en tant qu’« ultima ratio ».
Quel est le signal que la Suisse envoie au monde et aux clients potentiels au moment où l’industrie suisse est appelée à se préparer à une pénurie et à un contingentement de l’électricité ?
Les plans de contingentement de l’électricité présentés dans l’information aux grands consommateurs sont un premier indice de l’échec de la politique énergétique suisse. Il a été décidé de sortir du nucléaire au moyen de la stratégie énergétique 2050, sans toutefois avoir une solution adéquate pour assurer la sécurité d’approvisionnement. Le fait qu’une possible situation de pénurie d’électricité soit au centre du débat sur la politique énergétique renforce la position de Swissmem selon laquelle la sécurité d’approvisionnement est absolument centrale et tout sauf garantie. L’industrie dépend d’un approvisionnement en électricité fiable à des coûts énergétiques compétitifs.
Qu’entreprend Swissmem dans ce contexte ?
Un contingentement de la consommation d’électricité aurait des conséquences dramatiques pour l’industrie suisse et sa compétitivité, avec de graves répercussions sur l’ensemble de la place industrielle suisse. Il faut donc tout mettre en œuvre pour éviter d’en arriver là . Swissmem fait part de ses revendications par le biais de différents canaux politiques. De plus, nous attirons votre attention sur le fait que nos entreprises optimisent activement leur consommation d’énergie et d’électricité depuis de nombreuses années déjà . Pour des raisons économiques, mais aussi et surtout pour des considérations de durabilité. Cependant, de nombreuses possibilités d’économies d’énergie évidentes ont déjà été exploitées. Un grand nombre d’entreprises ne pourraient pas gérer une réduction passagère de la consommation d’électricité de 10% ou même jusqu’à 30% sans devoir arrêter complètement ou au moins partiellement leur production. Ce qui est désastreux ! À l’occasion d’une rencontre avec la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga, Martin Hirzel, président de Swissmem, a fait part de la position et des exigences de Swissmem. En outre, dans le cadre d’une consultation de la commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie du Conseil des États (CEATE-E) sur l’acte modificateur (révision de la loi sur l’approvisionnement en électricité et sur l’énergie) Swissmem a défendu ses revendications auprès du Parlement.
Quelles sont les revendications de Swissmem envers la politique ?
- La Confédération doit tout mettre en œuvre pour qu’au moins le scénario « coopération technique » puisse être réalisé, c’est-à -dire conclure des contrats avec les gestionnaires de réseaux de transport environnants. Il s’agit de l’objectif minimal absolu, qui permettrait d’écarter le risque de coupures de courant en 2025, selon l’étude susmentionnée.
- Nous avons impérativement besoin d’une ouverture complète du marché de l’électricité pour favoriser l’innovation et l’intégration au marché des nouvelles énergies renouvelables. En contrepartie, il est possible de renoncer à prolonger les subventions des nouvelles énergies renouvelables.
- Une nouvelle taxe sur le réseau nuit à la compétitivité des entreprises de production à forte consommation d’énergie et favorise les « carbon leakage », ce qui est contre-productif en termes de politique climatique. C’est pourquoi il faut y renoncer.
- Les centrales nucléaires existantes doivent pouvoir continuer à être exploitées tant qu’elles sont sûres et rentables.
- Nous devons retrouver la neutralité technologique et ne pas nous interdire de réfléchir. En d’autres termes : nous devons envisager à moyen terme la possibilité de centrales à gaz ou d’un concept CCP Powerloop, si possible neutre en CO2. À long terme, nous ne devons pas exclure l’option de l’énergie nucléaire, car elle fait partie, avec les nouvelles énergies renouvelables, de la solution pour la décarbonisation de l’économie et de la société.
Vous trouverez les positions et revendications de Swissmem en matière de politique énergétique et climatique dans les prises de position correspondantes.